Voile : « Notre objectif : avoir le potentiel de viser une médaille dans chaque épreuve aux Jeux Olympiques de Paris 2024 »

Jeudi 6 juillet 2023

Philippe Mourniac, le directeur des Équipes de France, doit mener la voile olympique française aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Avec un parcours extrêmement riche dans le monde de la voile, il fait le point sur le potentiel et les ambitions de l’équipe de France.

Les épreuves de voile des Jeux Olympiques de Paris 2024 se tiendront dans la rade de Marseille sur un plan d’eau exceptionnel, bien connu des régatiers français.  
 
Du 7 au 16 juillet 2023 va se tenir à Marseille le Test Event voile des Jeux Olympiques de Paris 2024, que représente cette épreuve pour l’équipe de France ? 

Ce sera la seule grande et vraie répétition des Jeux Olympiques avec le même format et un bateau par nation par épreuve. C’est donc le grand objectif de l’année pour nous. Et pas seulement pour observer. On veut arriver aux Jeux Olympiques avec un potentiel de dix médailles, c’est-à-dire une dans chacune des épreuves. 

Comment estimez-vous un potentiel de médaille ? 

Pour disposer d’un potentiel réel de médailles pour les Jeux, il faut, dans notre esprit, avoir déjà fait une fois une médaille au championnat du monde ou sur le Championnat d’Europe Open dans les trois années qui précèdent l’échéance.  

Pour l’instant, c’est le cas pour l’Équipe de France dans six séries sur les dix présentes aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Il y a quatre séries où l’on est encore dans le process de progression. Chez les garçons dans la série 49er, il y a eu des podiums et des victoires en Coupe du monde, en Nacra 17 (série mixte), on a fait des 5e et 6e places avec des doublons de nations devant… Ce qui veut dire qu’on y est presque. En ILCA 6 (dériveur solitaire), il y a eu aussi des podiums en Coupe du monde, et enfin les FX (49er filles), on est encore en retrait mais on a des athlètes à très fort potentiel. Il faut maintenant qu’ils deviennent des équipages confirmés mais on n’est pas loin. D’ici à la fin de l’année, on devrait avoir des podiums.  

Voilà l’état des troupes. Tout le monde a bien bossé l’automne dernier et cet hiver. À Palma (Majorque) et à Hyères dans des épreuves de très bons niveaux, on a vu monter en puissance l’Équipe de France. On sort 2e nation à Palma derrière les Anglais et on termine premier à Hyères. On est dans les temps de passage…   On verra au final début juillet au Test Event à Marseille et on fera le bilan après.  

Vous vous présenterez donc aux Jeux Olympiques de Paris 2024 l’année prochaine avec un réel potentiel de médaille dans chacune des épreuves olympiques… ce qui est très rare… 

C’est l’objectif très fort que j’ai fixé à l’ensemble du staff et des athlètes… Je ne sais pas si on va l’atteindre… Il y a toujours une ou deux surprises aux Jeux Olympiques. Mais l’objectif c’est d’avoir ce potentiel de médailles partout.

Parmi vos athlètes, il y a le cas de Charline Picon qui a un statut particulier. C’est assez rare ce qu’elle entreprend… 

En effet, déjà réussir à remporter une médaille olympique sur deux Olympiades comme elle l’a fait, c’est rare, en voile ça doit se compter sur les doigts d’une main… Là, Charline passe d’une planche à voile à un bateau, d’une discipline solitaire à un support en équipage, c’est une révolution… Une double médaillée olympique qui change de série et, imaginons, si l’histoire est belle et que cela débouche sur une 3e médaille olympique sur une autre série…cela devient assez unique. 

Pouvez-vous donner les particularités du plan d’eau de Marseille qui accueillera les épreuves olympiques de voile ?  

C’est un plan d’eau magnifique d’abord par son environnement : ce côté minéral, les calanques d’un côté, le relief…. C’est tout de même la 2e ville de France qui est tournée vers la mer. En plus, il y a les iles en face… Les conditions de vent sont très variées avec deux systèmes principaux, un secteur Ouest et un secteur Est, avec une 3e composante qui vient renforcer tout ça, une composante thermique… Donc c’est un plan d’eau très varié. On peut donc avoir un enchainement de journées avec des conditions très variées, et cela entraine des états de mer, des forces de vents et des couleurs de ciel complètement différents.   

Quelles qualités de régatier nécessite-t-il ?  

C’est un plan d’eau très technique… Il faut savoir faire avancer son bateau sur ce type de plan d’eau, il y a un petit clapot typiquement méditerranéen qui peut se coupler à une houle plus formée et, selon les « ronds » (zones de course) des différentes séries, avec une présence de ressac. Bref, tout sauf facile.  

Après, c’est aussi un plan d’eau extrêmement tactique car on est entouré de reliefs qui montent haut, avec, en plus, les iles du Frioul en face et la métropole de Marseille, donc cela perturbe le vent. Sur une seule journée, les différentes séries réparties sur le plan d’eau ne vont pas forcément vivre la même journée… Donc ce sera très riche à tous les points de vue. Du coup, les athlètes qui seront médaillés à Marseille seront des athlètes hyper polyvalents et extrêmement complets…  

Les médaillés seront donc de grands régatiers… 

Oui, les médaillés olympiques sont toujours des grands champions. Et à Marseille, ils seront extrêmement complets….  

Vous préparez donc des athlètes polyvalents ? 

D’une manière générale en voile, la première qualité c’est la capacité à s’adapter… Mais là, d’autant plus, et l’un des points en effet que l’on essaiera de développer, c’est la polyvalence. L’épreuve est longue, elle dure plusieurs jours avec plusieurs manches et une météo qui peut être changeante. Par exemple, on pourra avoir deux ou trois jours de mistral, puis un retour d’Est et, pour finir, un établissement des brises thermiques…  

Vous allez pouvoir travailler sur ce plan d’eau plus que les autres ?  

Dès que le site Olympique est désigné, il devient une base de travail pour toutes les nations. Les équipes déposent du matériel et viennent aussi souvent que possible… Pour nous, avant même de parler des Jeux Olympiques de Paris 2024, tous nos athlètes étaient déjà venus à Marseille. Cela fait partie des sites sur lesquels on régate le plus. On a des athlètes qui ont été formés en Optimist à Marseille…  

Notre volonté c’est de faire de Marseille la maison de l’Équipe de France…En mai et en juin jusqu’au Test Event de juillet, on sillonne la rade dans tous les sens afin de développer le travail technique et apprivoiser tous les éléments du plan d’eau.  

Vous avez une formation scientifique comme cela est souvent le cas dans le monde de la voile, comment expliquez-vous ce prisme scientifique des « voileux » ? 

En effet, j’ai une formation scientifique… La voile est un sport à maturité par rapport à d’autres sports, l’athlète peut vieillir et continuer à progresser. On a des athlètes en Équipe de France qui ont passé la trentaine. Un nombre conséquent des athlètes voile ont fait des études et on a effectivement un taux d’études scientifiques non négligeable. Si on fait le tour de l’Équipe de France, on a pas mal de gens qui ont fait des maitrises de maths ou de physique à l’université et pas mal aussi d’athlètes issus d’écoles d’ingénieur… Dans la catégorie jeune, dès qu’ils ont le statut de sportif de haut niveau, on a des accords avec des universités et des écoles d’ingénieurs comme l’INSA Lyon, Toulouse ou Rennes…  

En quoi votre expérience importante dans la Coupe America vous sert-elle dans vos fonctions aujourd’hui ? 

La première chose qui est liée à la Coupe America c’est le côté professionnel du projet… Sur l’aspect management du projet, c’est très formateur. Je fais partie de cette génération de sportifs de la voile Olympique qui a eu la chance de vivre ces évènements de la Coupe de l’America… Ça donne aussi une vision différente sur la palette de tous les possibles pour bâtir la performance. Ce sont en effet des projets où les moyens financiers ne sont pas un frein. Si on pense que tel sujet est important pour la performance, on peut l’explorer, voire le développer. Ensuite, dans le monde de la Coupe, on rentre dans une dimension professionnelle incroyable avec ce que cela veut dire en termes de rigueur, de planification… Ça donne un cadre… 

On est donc plus impitoyable ? 

C’est le sport de haut niveau qui est impitoyable. Il y a des règles à respecter, un code de la route. Plus on monte vers le haut niveau et moins il y a la place au copinage. Si on prend l’exemple des Jeux Olympiques, dans certaines séries, il y a une densité incroyable mais un seul ira aux Jeux, c’est donc déjà impitoyable car 5 ou 6 athlètes vont vivre un vrai traumatisme…  

Même chose ensuite aux Jeux Olympiques, il n’y aura que trois bateaux sur la « boite » et un seul champion olympique. Que le meilleur gagne !  

Quand je parle aux athlètes, je sais ce qu’ils vivent. Dans le sport de haut niveau, personne ne va vous faire de cadeau, c’est à vous d’aller chercher la médaille. Vous n’aurez que de l’opposition, d’abord en France, puis le reste du monde et enfin aux Jeux Olympiques. 

Il vous a fallu aussi gérer l’apparition des nouvelles disciplines au programme olympique… comme le kite ? 

Le monde du kite a interrogé le monde de l’Olympisme pour savoir ce que cela impliquait d’être aux Jeux Olympiques… Mais il ne faut pas oublier que ces athlètes ont été champions du monde avant d’être dans le programme Olympique… On s’enrichit aussi beaucoup de ce que ces disciplines ont déjà fait avant…  Assez rapidement, on était une seule et même famille Olympique…  

Dans votre fonction vous devez coacher les coachs, pouvez-vous expliquer comment vous fonctionnez ? 

Quand on évoque le poste de directeur des Équipes de France, il y a des tonnes de façons de faire. Moi je suis avant tout un homme de terrain, un ancien athlète, un ancien entraineur : ce qui me fait vibrer, c’est le terrain… Donc j’essaie d’être le plus présent possible auprès des entraineurs et des athlètes. Je n’interfère pas. J’essaye d’être à l’écoute de tout le monde, de prendre du temps et de réfléchir avec les entraineurs… Je ne m’immisce pas dans la vie de chaque série mais tout le monde sait que je suis présent et disponible pour toute demande. 

Il y a dans l’équipe de France des athlètes divers, des bateaux différents, des générations différentes, comment, dans ce contexte, générer un esprit commun ?  

Ça c’est une vraie difficulté. L’un de nos objectifs, c’est un potentiel de médailles dans les 10 séries mais également je pense sincèrement que la notion de collectif pour ce projet est super importante. Quand on va arriver aux Jeux Olympiques de Paris 2024 avec les 14 athlètes, on doit créer un groupe, se défoncer pour soi et pour les autres à côté. Cette volonté de créer un collectif est complexe car on est avant tout un sport individuel. On a un niveau de compétition entre nous… Un de mes objectifs consiste à bien montrer à tout le monde que, même si à la fin la médaille sera autour d’un seul cou, en amont, elle se gagnera à plusieurs…  

C’est une chance incroyable d’avoir de la densité car, d’abord, ça laisse le choix pour la sélection et aussi quand on a 4 des 10 meilleurs mondiaux dans une série, cela permet d’avoir des entrainements entre nous de très (très) haut niveau !   

Cela donne aussi une responsabilité du sélectionné vis-à-vis de ses camarades restés sur le ponton… 

Une fois que la sélection sera faite, on va construire la cellule autour du sélectionné… L’athlète fait d’abord la médaille pour lui, puis il se sent une responsabilité par rapport à ses partenaires/adversaires. C’est toute la complexité de notre sport… on a une vraie force à retirer de la collectivité… C’est un axe important de réflexion, de choix des intervenants…  

Pour finir, lorsque vous étiez gamin à Sainte Maxime, est ce que vous imaginiez un jour de vous retrouver aux Jeux Olympiques à 150 km de chez vous ? 

Quand j’étais sur mon Optimist au large de la plage de Sainte Maxime, je m’imaginais déjà des régates aux Jeux Olympiques… Dans ma tête j’étais sur une manche des Jeux… ou à la Coupe de l’America !   

Ensuite, les Jeux à la maison c’est le moteur de beaucoup de monde… Quand on était à Tokyo, on savait que les prochains Jeux seraient à Paris mais je ne me projetais pas du tout sur ceux de Paris. Cependant, quand on a quitté Tokyo et qu’on a atterri à Paris, j’ai pris conscience qu’on atterrissait pour la première fois sur le tarmac du prochain pays qui accueillerait les Jeux Olympiques… Et j’ai l’impression que c’est un sentiment qui a traversé beaucoup de personnes en revenant de Tokyo… Les Jeux Olympiques à la maison, c’est une fois par siècle !  

Info : alors que le Test Event vient de terminer à Marseille, le bilan est exceptionnel pour l’Equipe de France de voile avec 5 médailles dont 4 en or et 1 en argent.  Pour en savoir plus.